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F O N D E E E N 1 9 3 7 P A R I S F R A N C E
Linda Maria Baros - membre de l'Académie Mallarmé
P A R I S F R A N C E 2 0 2 3
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Je sors dans la rue avec l’ange
Je sors dans la rue avec l’ange.
Comme une chaîne enroulée autour de la main.
Blanchie par la chaux des murs.
Les hommes que je rencontre
me lèchent la main et les chevilles,
me suivent de près.
Je leur marche dessus
comme sur des charbons ardents,
comme sur des vagues, sur des toits.
Je n’ai aucune pitié
pour les hommes qui m’aiment.
Ma chaîne a ouvert sur leur dos
des pupilles de serpent.
Me saluent tous ceux qui ont dormi
au bord des hauts toits,
ceux qui ont porté leurs poumons
jusqu’aux tréfonds des eaux
- comme de très minces chiens de chasse -
et les ont accoutumés à y respirer.
Me saluent, d’en bas, les autres - les civils.
Atteints par la comatose.
Ceux dont on a cassé les dents avec une barre de fer.
Les cliniques magistrales, les entremetteurs.
Les déshérités du sort me saluent, les contusions, la toux.
Sous le lit fument peut-être encore
les canons du fusil.
Je suis sortie dans la rue avec l’ange. Je rentre chez moi.
Comme une chaîne enroulée autour de la main.
Réalité touchscreen
Nous avons hurlé, nous avons pesté,
nous nous sommes roulés par terre.
Parmi nos hautes HLM de banlieue
se dressaient doucement les pistons de la nuit.
Et nous sommes montés dans des camions
et nous avons bu.
Dans les rues, les filles se déployaient comme des drapeaux.
Nous avons dansé et craché, nous avons bu
jusqu’au matin, jusqu’au kilomètre zéro.
C’est là que sont venus les chasseurs et ont frappé
à notre porte ;
nous ne nous réveillions pas, ils râlaient.
Ils ont aiguisé leur bec sur les murs ;
en pleurs, dans de sombres couloirs,
ils ont chargé leurs armes
et se sont masturbés.
Peut-être quelques bâtons noirs, en caoutchouc,
ont-ils éclairé, de près, nos contusions,
ont-ils séparé nos pommettes,
lorsque nous dansions comme des sauvages.
La réalité nous est montée droit dans la gorge.
Et sont venus ceux qui étaient en Réanimation.
Mais ils ne nous ont pas reconnus.
Ils n’ont plus tendu la main, ne nous ont plus demandé
un peu de lumière
à travers les vitrines touchscreen.
Peut-être les tireurs d’élite qui pourrissaient sur les toits.
Ce sont eux qui ont aiguisé leur bec
sur nos côtes de verre,
qui ont soufflé dans nos drains de tuberculeux
et appuyé doucement sur les pistons de la nuit.
Et nous, enveloppés dans quelques drapeaux,
nous ne les avons plus reconnus.
Aucun homme ne t’a défendue
Les hommes qui te rencontrent perdent toujours du poids.
Aucun homme ne t’a défendue et ceux qui ont essayé
en cachette, tu les as coupés en deux, à l’épée,
jusqu’à la taille.
Aucun homme ne t’a défendue et ceux qui ont essayé
de chasser les hérons scélérats de tes seins
avec leur langue ont oublié que tout phallus expiré
croit que les seins des femmes émettent
une lumière intermittente.
Aucun homme ne t’a défendue et ceux
qui se sont élancés comme des free-runners acharnés
d’une hanche sur l’autre, tu les as renvoyés.
Après des inconvénients des limites des remèdes,
tu les as renvoyés à la forge usée à travers laquelle
ils étaient déjà passés autrefois. Aucun homme
ne t’a défendue, n’a compris d’où venait
ton pas léger qui répandait tant de tristesse
sur la nuque épaisse des traqueurs. Aucun homme
ne t’a défendue et ceux qui ont essayé,
en revêtant l’uniforme par-dessous la peau,
t’ont demandé de leur faire une place
dans ton corps ingénu.
Et ton corps aurait dû les revêtir tout comme une pomme
tendre revêt, sans le savoir, les vers.
Aucun homme ne t’a défendue et ceux qui ont essayé
se sont soudain cachés dans les vestiaires des nageuses.
Ils se sont éparpillés dans des volutes féériques,
en essayant de léviter encore et encore.
Aucun homme ne t’a défendue et ceux qui ont essayé,
sous la lumière de ton fouet,
de leurs mots paralysés, se marchaient dessus,
comme l’éléphant sur la trompe,
et s’écroulaient dans le lit. Toi, seule, tu levais le front
et regardais vers le crépuscule, vers le ciel
bien vascularisé.
Aucun homme ne t’a défendue. Comme si
quelques-uns parmi eux étaient de jeunes garçons
qui s’attardent toujours dans les urinoirs.
Et les autres, quelques vieux loups de mer qui attendent
que les vents les brouillards les sirènes
allument le feu de saint Elm, comme autrefois,
au sommet des mâts. Aucun homme ne t’a défendue
et à ceux qui t’ont regardée, dans leur inconscience, à travers
l a brume de la vocation éjaculatoire,
tu leur as dit d’une voix tonnante qu’aucun homme
ne t’avait défendue.
Qu’ils s’étaient tous étendus dans le lit noir du sens,
aveuglés et infibulés comme devant
les filles excisées de l’Afrique.
Et aucun homme ne t’a défendue et ceux qui ont essayé
t’imploraient la nuit et pleuraient longuement,
aux éclats, sur l’ogive de ton pelvis. Sur sa texture rose,
de chrysobéryl. Et toi tu leur disais
que pendant ce temps, dans le parc à l’anglaise
de derrière l’asile, la fille du jardinier creusait
la poitrine de ton amant avec ses seins.
Tu leur disais qu’aucun homme ne t’avait défendue.
Et depuis aucun homme ne t’a défendue et n’a même pas
essayé. Parce que toi, tu caches ton eunuque
sous la peau, le cube vaginal pressurisé,
et les hommes qui te rencontrent perdent toujours du poids.
Poète. Traductrice. Éditrice. Née en 1981. Docteur
en littérature comparée - Sorbonne. Vit à Paris.
7 recueils de poèmes, dont La nageuse désossée.
Légendes métropolitaines (Le Castor Astral) qui s’est vu
décerner, en 2021, le Grand Prix de Poésie de la Société
des Gens de Lettres, le Prix international francophone du
Festival de la poésie de Montréal et le Prix Rimbaud de la
Maison de Poésie de Paris.
Poèmes traduits et publiés dans 42 pays.
A participé à 105 festivals internationaux de poésie.
Lauréate et secrétaire générale du Prix Apollinaire.
Rapporteur général de l’Académie Mallarmé.
Vice-présidente du PEN Club français.
A traduit 54 livres.
Directrice de la maison d’édition La Traductière et du
Poésie Poetry Paris/Festival franco-anglais de poésie. Rédactrice en chef de la revue de poésie et art visuel
La Traductière.
Énorme griffe en argent à la main droite.