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Daniel Leuwers - membre de l'Académie Mallarmé
P A R I S F R A N C E 2 0 2 3
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Rancœurs
Ici, trop de vieilles sensations,
presque des rancœurs !
Il faudrait toujours voyager
vers des lieux neufs
ou à peine effleurés.
Sinon, le passé revient trop fort
hanter le présent,
montrer l'inanité de nos choix.
Cette chambre à Saint-Malo
sous le nez des remparts
mais regardant au dessus d'eux,
il eût fallu l'acquérir, jeune,
et jouir encore de sa vue.
C'est ainsi, c'est ainsi.
Le trop tard nous achève.
Tu écoutes
Tu écoutes des airs aimés jadis
mais tu es déjà dans un autre monde,
coupé de cette musique
que crachent les radios
- et tu as mal d'être soudain entré
dans les régions lentes de la mort
où les chemins n'ont plus de ligne claire
mais l'obscur d'une fin de jour
qui s'éternise.
Et le peintre te dit
qu'il mettra des couleurs
en face de tes mots
« pour que ce soit plus gai ».
Tu sombres
mais tu veux croire encore
au rêve d'amour
quand il te faudrait peut-être te résigner
à apprendre à mourir.
La plage de Fréjus
Tu as les deux pieds dans la Méditerranée
dont les vagues te bercent froidement
de leur va-et-vient
(fuyant, parfois)
- et la mer progresse
autour de ton carnet,
de ton stylo V7,
et tu ne vois bientôt plus
que l'écume qui t'immerge
-et tu voudrais donner à celui qui te lira
la sensation de cette immersion dans la mer
en ce beau matin d'avril
sur la plage de Fréjus
où un nuage t'annonce le moment du repli,
quand l'eau se fait de plus en plus dense
(une danse)
sous la fraîcheur qui gagne
- et des enfants continuent de lutter contre les vagues
qui les font crier de peur, et puis d'aise,
- et mes pieds se retirent
à mesure que mon poème se tait,
s'enterre.
Né à Beaumont-sur-Oise au sortir de la Première Guerre mondiale, Daniel Leuwers fait ses études à Beauvais avant de rejoindre Paris, le Lycée Henri IV et la Sorbonne. Reçu à l’agrégation de lettres en 1968, il enseigne au Lycée Saint-Louis et soutient en 1980 une thèse de doctorat d’État sur le poète Pierre Jean Jouve (Jouve avant Jouve ou la naissance d’un poète, Klincksieck, 1984).
Assistant à la Sorbonne Nouvelle, il est nommé Professeur à l’université François Rabelais de Tours en 1981. Il organise maints colloques internationaux à Tours (Char, Senghor, Yourcenar) et au Centre Culturel de Cerisy-la-Salle (Jouve, Bonnefoy, Frénaud, Tardieu, Stétié), participe à l’activité de plusieurs revues (Sud, Europe), donne des chroniques à La Nouvelle Revue française.
Peu sensible aux débats théoriques, il s’attache surtout aux textes et entame une foisonnante activité de préfacier et de commentateur au sein du Livre de Poche classique et de Garnier-Flammarion. En 1989, il rassemble ses chroniques sur la poésie contemporaine dans L’Accompagnateur (Sud). Il donne en 1996 le volume De Zola à Apollinaire pour l’Histoire de la littérature française des Éditions Flammarion. Tout en mettant en perspective Les Lettres du Voyant de Rimbaud (Ellipses, 1998), il s’attache à décrypter les tendances de la poésie la plus contemporaine et questionne la « postmodernité » dans La Place du poème (Edest, 2007). Et il ne cesse d’actualiser son Introduction à la poésie moderne et contemporaine parue chez Dunod en 2005 et constamment rééditée (Bordas, Armand Colin), tandis que son anthologie Poètes français des XIXème et XXème siècles est un des succès du Livre de Poche.
Voyageur infatigable (il enseigne aux États-Unis, à l’Université Rutgers et à l’Université Vanderbilt de Nashville), Daniel Leuwers se fixe, de 1990 à 1998, dans deux pays étrangers : d’abord en Australie où il est jusqu’en 1993 Conseiller Culturel de l’Ambassade de France, puis au Sénégal où il enseigne à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Une trilogie de « carnets » naît de cet « exil » et de son retour.
En 2002, Daniel Leuwers crée le concept de « livres pauvres », collection « hors commerce » d’ouvrages rares où l’écriture manuscrite se marie à des interventions artistiques originales et qui sont destinés à être exposés (ce sera le cas à New York, Moscou, Beyrouth, Brême, Bucarest, Bergame, Bruxelles, en Andorre) et à faire l’objet de catalogues magistraux tels Le Livre pauvre (Tarabuste, 2003), Livre pauvre/Livre riche (Somogy, 2006), Richesses du livre pauvre et Les Très Riches Heures du Livre pauvre (Gallimard, 2008 et 2011).
Il est évident que la création poétique demeure pour Daniel Leuwers la source secrète et qu’elle s’ajuste parfaitement avec une forte attirance pour l’univers des peintres. René Char parraine dès 1971 un petit PAB, Ubac et Braque, mais la publication de recueils se fait, elle, assez tardive. Il faut attendre l’année 1996 pour voir paraître La Vie cassée et Le Cri des filaos aux éditions des Moires. Viennent ensuite L’Amour, pourtant (Rafaël de Surtis, 1997), L’Inconnu désarmé (Autres Temps, 1998), Les Amoureux solaires (Collodion, 1999), Morsure (L’Estocade, 2001), Poèmes couchés et L’Amour tremblé (Ecbolade, 2004 et 2006), Fausseté du vrai (avec traduction en russe d’Ekaterina Belavina, Moscou, 2011), Malamour et Concerto (avec traduction en italien de Giuseppe Napolitano, Gaëta, « La Stanza del poeta », 2012 et 2015). En 2014, les éditions du Petit Véhicule consacrent à Daniel Leuwers un numéro de Chiendents. Son recueil Cœur de nuit fait l’objet d’une publication bilingue franco-albanaise à Pristina en 2016, année où Daniel Leuwers donne à l’éditeur niçois Pourquoi viens-tu si tard ? Bar ocre (avec des sténopés de Dany Hurpin), suivi en 2017 de Blanc-seing (avec des photos de Ferrante Ferranti), de Biefs et de Temps T.
En 2018, Daniel Leuwers publie Atlas et paradis chez Al Manar, puis en 2019 Portraits intranquilles à partir de photos de Christophe Laurentin (Segust), Ces Messieurs de A à Z avec des collages de Wanda Mihuleac (Transignum) et Trilogue/Trilogar (Cuernavaca, La Cartonera). En 2021, il donne chez Bruno Guattari Les Variations Baudelaire puis, en 2023, aux éditions Pourquoi viens-tu si tard ? Les Griffes du ciel (avec des sténopés de Dany Hurpin) et Il y a que. Flashes et térébenthine (avec des peintures de Maria Desmée). Outre sa participation aux « livres pauvres », Daniel Leuwers contribue à un grand nombre de livres d’artiste.
Présent sur le front culturel, Daniel Leuwers fait partie, depuis 2010, du comité international du festival Voix Vives, siège au jury du Prix Mallarmé ainsi que du Grand Prix de la critique, préside l’Association internationale de la critique littéraire (AICL) et dirige sa revue bisannuelle Les Eaux vives.
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