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F O N D É E E N 1 9 3 7 P A R I S F R A N C E
Membres de l'Académie Mallarmé
- 2014 -
Mallarmé ainsi songea à un regroupement de poètes à visée universelle. Paul Valéry le rappelle dans une lettre à Henri de Régnier : « Vous savez peut-être qu'il existe une lettre de lui [Mallarmé] très jeune (vers 1870) adressée à Mistral, et par laquelle il instruit le poète provençal du grand dessein qu'il avait conçu avec Catulle [Mendès]. Il s'agissait de fonder une sorte de franc-maçonnerie littéraire devant s'étendre au monde entier. Et rien de plus curieux que ce texte enthousiaste, et même naïf. Quand j'en ai eu connaissance, il y a quelques années, j'ai trouvé qu'il m'éclairait le mystère des mardis, des beaux mardis. Nous formions sans le vouloir une Loge intellectuelle. »
On peut donc supposer que les réunions des fameux mardis de la rue de Rome furent un petit essai de constitution de cette franc-maçonnerie des poètes. À cette époque les salons étaient nombreux, comme les cafés où l’on se réunissait pour écouter, lire, parler entre poètes.
C’est ainsi que les anciens mardistes se retrouvent après la mort de Mallarmé en 1898. Et d’abord pour aider la veuve et l’orpheline.
Une Société des Amis de Mallarmé est fondée, qui, avec l’assentiment du Dr. Bonniot et de son épouse Geneviève Mallarmé, a l’idée d’apposer une plaque sur la façade du 89 rue de Rome le 9 juin 1912, qui existe encore aujourd’hui (elle a été changée, mais l’inscription est identique). On parle aussi de statue, mais cela n’a pas abouti.
Une autre source de l’Académie Mallarmé peut être trouvée dans l’élection du Prince des poètes. Nombre d’académiciens y furent élus : Mallarmé lui-même, Paul Fort, Jean Cocteau puis Léopold Sédar Senghor. Le poste n’est qu’honorifique, mais, vis-à-vis des médias, il représente l’ensemble de la poésie, sans distinction d’école ; l’Académie Mallarmé est peut-être issue de ce titre, du moins en partie.
Il fut ensuite institué une Société des poètes des mardis pour organiser des lectures de poèmes et de conférences. Elle n’a rien d’officiel et se perd dans les sables de l’histoire et surtout de la Première Guerre mondiale.
Société Mallarmé
Après la Première Guerre mondiale, l’idée d’une réunion d’amis refait surface, et Édouard Dujardin fonde une Société Mallarmé et pour cela fait appel aux anciens mardistes : Edmond Bonniot, gendre de Mallarmé, Paul Valéry, André Gide, Paul Claudel, Francis Vielé-Griffin, Henri de Régnier, Saint-Pol Roux, Paul Fort, André Fontainas, Albert Mockel, Ferdinand Hérold, Jean Ajalbert et Maurice Maeterlinck auxquels on joignit Albert Thibaudet, le célèbre critique de l’époque, et Jean Royère, animateur de la revue La Phalange. On demeure dans la prégnance symboliste ou post-symboliste.
Il faut dire un mot d’Édouard Dujardin ; ancien élève du Conservatoire où il étudie aux côtés de Paul Dukas et de Claude Debussy, il découvre Wagner lors des concerts Pasdeloup et Colonne en 1879 et assiste à la première de Parsifal à Bayreuth en 1882.
Il publie un roman, Les Lauriers sont coupés, en 1888 et des poèmes : La Comédie des amours, 1891 ; Mari Magno, 1920 ; de nombreux essais : La Source du fleuve chrétien, Histoire du judaïsme ancien, 1906 ; De Stéphane Mallarmé au prophète Ézéchiel, 1919 ; De l'Ancêtre mythique au chef moderne, 1943. Il fait jouer son théâtre à la Comédie française, Le Chevalier du passé en 1882 et Antonia en 1891, Marthe et Marie en 1913, puis Le Retour éternel, en 1932.
Homme de presse, il dirige Les Cahiers idéalistes français, fonde la Revue des idées avec Rémy de Gourmont ; puis la revue Superbes qui exprime sa confiance envers la révolution bolchevique. Il est chargé d’un cours sur les origines chrétiennes et les religions primitives à l’Ecole Pratique des Hautes études en 1911.
Il obtient le Prix Lasserre des Lettres en 1936 et s’adonne aux affaires avec des succès variables.
Édouard Dujardin est et sera pour longtemps la cheville ouvrière de tout ce qui se fera autour du nom de Mallarmé.
Après lui, rappelons la mémoire de quelques poètes un peu oubliés de nos jours.
Henri de Régnier, né à Honfleur le 28 décembre 1864. Il subit l’influence parnassienne : Les Lendemains, 1885, puis des vers libres : Tel qu'en songe, Poèmes anciens et romanesques, 1887-1890. Il fréquente les mardis de Mallarmé. Il revient au Parnasse et à la forme de l’alexandrin et du sonnet. Les Médailles d'argile, 1900 ; La Cité des eaux, 1902 ; La Sandale ailée, 1905. Il est aussi romancier : La Double Maîtresse, 1902 ; Les Vacances d'un homme sage.
Paul Fort, né à Reims le 1er février 1872. Il est dramaturge et poète, premières Ballades françaises au Mercure de France en 1896, crée le Théâtre d’Art en 1887 avec Lugné-Poe en 1887 et fait découvrir les dramaturges nordiques, Ibsen, Strindberg. Il est élu Prince des poètes en 1912.
Albert Mockel, né à Ougrée, Belgique, le 27 décembre 1866. Il crée sa première revue, La Wallonie, en 1886 avec Emile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin et André Gide. Les Fumistes wallons, 1888.
Ferdinand Hérold, né à Paris le 24 février 1865. Il est passionné par l’Inde, il fréquente les mardis de Mallarmé, ami de Pierre Louÿs ; il publie Les Paeans et les thrènes, 1890 ; Images tendres et merveilleuses, 1897 ; traductions pour le théâtre avec Lugné-Poe ; familier du Mercure de France ; ami des musiciens Ravel et Fauré ; dreyfusard et ennemi du fascisme.
Jean Ajalbert, né à Levallois-Perret, 1863. Il est romancier, essayiste, mémorialiste et poète, notamment sur l’Auvergne. Académie Goncourt en 1917. Voyages en Indochine, collabore à L’Humanité, conservateur du Château de la Malmaison puis, après la mort de son fils, de la Galerie Nationale de la Tapisserie à Beauvais (Oise) jusqu’en 1935. Se compromet dans la presse collaborationniste.
La première action de cette Société Mallarmé est de placer un médaillon sur la maison de Valvins, cérémonie qui déplaça les foules le 14 octobre 1923. Par la même occasion, il est édité une médaille qui reprend les motifs du médaillon.
Mais la Société Mallarmé s’étiola rapidement, peut-être parce qu’il fut décidé qu’il n’y aurait aucun président, et parce qu’elle ne vivait que d’agapes. André Fontainas envisage un projet plus vaste, avec la publication d’un Bulletin et mise à disposition d’un logement pour un gardien féru de poésie, mais n’est pas entendu.
André Fontainas est né à Bruxelles le 5 février 1865, entre au lycée parisien de La Fontaine où il fait la connaissance de Ferdinand Hérold, Stuart Merril, élèves de Mallarmé. Il devient critique au Mercure de France et écrit des essais sur Poe, Daumier, Rops, Franz Hals. Il exerce le métier de receveur d’octroi à la ville de Paris. 1892 : Le Verger illusoire ; 1889 : Le Sang des fleurs ; 1908 : La Nef désemparée ; 1921 : L’Allée des glaïeuls.
La Société Mallarmé n’est pas dissoute, mais vit petitement à l’occasion de telle ou telle manifestation.
Académie Mallarmé
En 1936, les anciens mardistes célèbrent le Cinquantenaire du symbolisme qui remporte un franc succès jusqu’à une exposition à la BNF qui fait grand bruit.
Ce succès va inciter Édouard Dujardin à proposer une Académie Mallarmé que Francis Vielé-Griffin laisse faire comme Paul Valéry. Mais ni André Gide, ni Paul Claudel, ni Supervielle, ni Francis Jammes n’acceptent d’en faire partie.
Édouard Dujardin propose un projet qui va dans le même sens que celui qu’avait déjà exposé André Fontainas quelques années plus tôt avec, notamment, un logement pouvant servir de bibliothèque, de lieu d’archivage et de conférences ouvert à tous.
Il met à disposition la magnifique demeure qu’il a réhabilitée, à deux encablures de la maison de Valvins, le Val-Changis, à Avon près de Fontainebleau. Pour ce faire, il vend sa maison au département de Seine-et-Marne avec une option pour l’Académie pour la gestion, avec, comme maître de cérémonie, Édouard Dujardin lui-même.
L’inauguration se fait en grande pompe et l’État offre un local dans le sein de la Bibliothèque Nationale.
Le premier président de l’Académie Mallarmé est Francis Vielé-Griffin. Né à Norfolk, Virginie, le 26 mai 1863, il suit sa mère en France en 1872 et conserve la nationalité américaine.
Condisciple d’Henri de Régnier au collège Stanislas, il rencontre André Gide en 1891 puis fait son droit. Il entretient une longue correspondance avec Francis Jammes<>et se montre assidu aux mardis, où il est considéré comme son fils par Mallarmé.
Il dirigea la revue Les Entretiens politiques et littéraires avec Paul Adam et Bernard Lazare.
Théoricien du vers libre, il publie Cueille d’avril, 1886, Les Cygnes, 1892, La Chevauchée de Yieldis, 1893, Phocas le jardinier, 1898, La Partenza, 1899.
Il traduit les auteurs américains Stephen Crane et Swinburne, Walt Whitman.
Élu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises le 12 décembre 1931.
Sont élus ensuite Charles Vildrac et Léon Paul Fargue. Puis ce sera le tour de Jean Cocteau et de Gérard d’Houville. Cette dernière n’est pas dupe de son élection, étant la fille de José Maria de Hérédia et la femme d’Henri de Régnier ; ce sera la seule femme avant longtemps.
Mais rapidement, Francis Vielé-Griffin meurt ; il s’agit donc de le remplacer à la Présidence. On pense bien sûr à Paul Valéry et à Maurice Maeterlinck, deux gloires, l’un pour l’Académie française, l’autre pour son Prix Nobel. Mais le premier n’en veut pas et le second, habitant à Nice, refuse. Ce sera donc Saint-Pol Roux qui sera élu, malgré son éloignement en Bretagne.
Il faut aussi élire un nouveau membre : ce sera, après moult discussions, Henry Charpentier, né à Paris le 15 juin 1889. Son Tombeau de Stéphane Mallarmé, 1910, lui vaut les éloges du Dr. Bonniot qui en fit l’exécuteur testamentaire des œuvres de Mallarmé. Il est considéré comme un poète classique.
La principale raison d’être de l’Académie Mallarmé est le Prix qu’elle va décerner pour la première fois. Bien sûr les tractations vont aller bon train. Et ce sera une surprise de voir couronner Audiberti, aidé par Jean Paulhan, Valery Larbaud et Léon Paul Fargue. Il est opposé à André Druel et Jacques Dyssord.
Jacques Audiberti se souvient du banquet dans son ouvrage Dimanche m'attend : « Avec Cocteau, Fargue, Paul Fort, Saint-Pol-Roux, [Valéry] fut de ceux qui m’accueillirent, copain compagnon, dans je ne sais plus quel endroit de nappes et d’assiettes, vers la fin de l’année trente-huit quand j’avais des bosses aux genoux de mes pantalons, afin de me décerner un certain prix, le prix Mallarmé. Le montant du prix consistait, surtout, dans cet inestimable rendez-vous avec la poésie française en chair et en os. Des symbolistes chenus, Ferdinand Hérold et André Fontainas, me traitèrent avec politesse. Gérard d’Houville, la propre fille de Hérédia, me sourit. Saint-Pol-Roux m’écrasait contre sa barbe : "Tu es content, mon fils ?" »
Audiberti en donne une version un peu différente à propos de la mort de Paul Fort : « Ils étaient tous là. Paul Fort, Paul Valéry, Jean Cocteau, Léon-Paul Fargue, Saint-Pol-Roux. Ils m'accueillirent par un tutoiement immédiat. Il y avait Gérard d'Houville, messagère filiale et nuptiale d'Henri de Régnier et de José Maria de Hérédia. Il y avait encore André Fontainas et Ferdinand Hérold, bons lansquenets du symbolisme, et Charles Vildrac. » On voit le Parnasse d'Audiberti se constituer. D'abord la « Forteresse », puis les « lansquenets du symbolisme » qui ouvre à Audiberti le monde littéraire venant du XIXe siècle dont il se pense issu, étant né en 1899.
« Il y avait Édouard Dujardin, solide malgré l'asthme et l'octogénariat, rasé au Gillette, venu au monde en même temps que Mallarmé, qu'il avait fréquenté alors qu'il portait, lui, Dujardin, une noire barbe carrée et, à ses doigts, des émeraudes hérodiennes. Féru du sociologue Durkheim et, chez nous, l'un des premiers en date zélateurs d'un musicien étranger nommé Richard Wagner, Édouard Dujardin venait de fonder l'Académie Mallarmé, qui m'accueillait. »
Audiberti est invité à dîner chez Drouant et il peut rencontrer là ses poètes préférés issus du symbolisme. Alors que lui-même n’est qu’un simple chroniqueur de faits-divers au Petit parisien.
Le prix est financé partie par l’intermédiaire de Mme. veuve Francis-Vielé-Griffin, partie par Henri Mondor, peut-être par une
Association des Amis de l’Académie Mallarmé.
Mais à partir du second prix Mallarmé, les difficultés vont commencer. En effet, sans doute à cause des moyens financiers, le Prix Mallarmé est associé à deux revues : L’Âge nouveau et Yggdrasil, dirigées l’une par Guy Lavaud, gendre de Francis Vielé-Griffin, l’autre par Jacques Duvaldizier et Marcello Fabbri qui essaient de se faire une belle publicité.
Le deuxième Prix est donné à Roger Lannes avec André Dez ; le troisième à Patrice de La Tour-du-Pin, mais nous sommes en 1939, et ce dernier refuse ; le prix échoit alors à trois poètes : André Bellivier, Jean Follain et Henri Hertz.
Puis c’est la guerre et on ne sait plus trop si il y eut un quatrième Prix, 1940, sans doute est-il décerné à Paul Bulliard. Celui de 1941 à Paul Lorenz.
Mais on comprendra que ces prix ne sont décernés qu’avec un faible nombre d’académiciens ; certains étant à l’étranger, d’autres en zone sud. Ils n’ont que peu d’échos dans la presse.
La guerre aidant, l’Académie peine à se renouveler ; les membres, séparés, ne se voient plus beaucoup ne songent donc pas à élire d’autres poètes pour venir les accompagner.
D’autres décèdent. Fort de ces circonstances, ils décident, précisément, de ne pas se renouveler. C’est alors, que de façon tout à fait surprenante et totalement inattendue, l’Académie procède tout de même à des élections. Non pas des : une. Mais de taille.
Celle de Félix Fénéon qui mourra cependant l’année suivante. Pourquoi lui ? Parce que c’est un ancien ami de Mallarmé et une figure incontestée, même si bizarre, du monde des lettres et des critiques littéraires. Ce faisant, l’Académie se tourne vers son passé davantage que vers son avenir.
Félix Fénéon est né à Turin le 22 juin 1861. Il est anarchiste, secrétaire de rédaction de La Revue Blanche et Dreyfusard. Collabore au Figaro et au Matin, puis devient critique artistique : Les Impressionnistes, 1886. Jean Paulhan l'a rendu célèbre dans son ouvrage Félix Fénéon ou le critique ; ses Nouvelles en trois lignes furent publiées en 1990.
Puis il faut songer à la Présidence, car Saint-Pol Roux, comme on sait, meurt aussi en 1940. Il faut donc élire un nouveau président dans cet univers sombre et absent de Paris. Ce sera Édouard Dujardin qui sera élu, Paul Valéry refusant toujours cette charge.
Trois présidents
Mais cette élection ne va pas tout à fait au personnage, surtout en cette époque troublée. En effet Édouard Dujardin est un germanophile convaincu, surtout pour la musique wagnérienne.
Et voilà qu’il laisse fêter son quatre-vingtième anniversaire à l’Institut allemand parce qu’il collabore à quelques journaux allemands. Il n’a jamais cependant dit quoi que ce soit favorable au gouvernement de Vichy ni n’a jamais tenu de propos antisémites. Mais enfin, cet anniversaire, pour les Résistants de 1944, passe mal. La presse demande alors à faire démissionner ce président dérangeant et publier un Manifeste pour redorer le blason de cette Académie nouvelle.
D’autres académiciens sont aussi inquiétés par le CNE : Jean Cocteau, Paul Fort et Jean Ajalbert. Mais seul ce dernier sera obligé de démissionner de l’Académie Goncourt comme de l’Académie Mallarmé.
Il faut donc élire un nouveau Président : ce sera, enfin, Paul Valéry. Mais nous sommes en 1945 et celui-ci meurt.
Une nouvelle élection met Gérard d’Houville au poste de Président. Mais à ce niveau, des archives nous manquent pour en connaître tous les détails.
Survivance
En 1946, Henri Mondor est élu membre de l’Académie Mallarmé. Il n’est pas poète, mais a écrit une monumentale biographie de Mallarmé. Depuis le début, les amis de Mallarmé s’attachent à accueillir en leur sein un exégète : ce fut d’abord Edmond Bonniot, puis Henri Mondor, de nos jours, nous en avons deux : l’un qui est aussi poète en la personne de Jean-Luc Steinmetz, l’autre, Jean-Yves Debreuille, spécialiste de l’École de Rochefort et de la poésie contemporaine.
L’Académie Mallarmé essaie tant bien que mal de faire élire de nouveaux académiciens ; peu seront choisis : citons Francis Carco et Jacques Audiberti puis Pierre Camo et Vincent Muselli ou encore Francis de Miomandre. Mais on ne sait pas s’ils se réunissent souvent. Sans doute peut-on penser qu’ils ne se côtoient peut-être pas beaucoup. L’Académie meurt tout doucement.
On a souvent dit, pour le lui reprocher, que l’Académie était morte avec Audiberti en 1965. Elle lui survivra dix ans. Mais il faut bien avouer, que dès le début de l’après-guerre, elle n’a pas su se relever de ses cendres.
Jean Cocteau et Gérard d’Houville essaient ensemble, de chercher des membres nouveaux, mais l’âge aidant, ils ne trouvent plus l’énergie pour rassembler les vivants et remplacer les morts.
La dernière mention de l’existence de l’Académie Mallarmé se situe aux alentours des années 1974, puisque Pierre Camo meurt à 97 ans cette année-là.
La nouvelle Académie Mallarmé
Un hasard auquel nous ne croyons pas, mais dont nous cherchons encore les liens, nous amène à nous intéresser à un groupe de poètes qui de façon tout à fait surprenante vont relancer l’idée de l’Académie Mallarmé.
Nous serons plus rapides concernant l’histoire de cette seconde naissance, essentiellement parce que l’historien ne peut travailler sur une période aussi proche. Nous n’en retiendrons que les faits les plus saillants, qui sont loin d’être négligeables, par ailleurs.
Denys-Paul Bouloc nous fait l'historique de cette seconde naissance : « Dans les années soixante, un soir, nous étions quatre joyeux compagnons à nous extraire d’un restaurant du quartier Saint-Germain-des-Prés. Il y avait Edmond Humeau, Michel Manoll, Jean Rousselot et moi-même. Nous déambulions, rue Mazarine, lorsque soudainement Michel Manoll s’arrêta, prit le bras de l’un de nous et déclara, avec ce ton de ferveur qui le caractérisait : « "Quel dommage que l’Académie Mallarmé se soit éteinte ! Et si nous la ressuscitions ?" Sur le moment, nous ne sûmes pas trop quoi répondre. L’idée aussi séduisante fût-elle, n’avait pas, jusqu’alors, effleuré notre esprit. Ou plutôt, nous paraissait-elle inconcevable, voire farfelue. Il fallait le pouvoir d’imagination d’un Michel Manoll pour la faire surgir. Car, à la réflexion, en supposant que nous ayons fait nôtre dans l’immédiat son dessin, étions-nous fondés à ranimer une institution qui, théoriquement, n’avait pas cessé d’exister ? »
On prend contact avec Geneviève Mallarmé et la nouvelle Académie Mallarmé est créée avec Jean Rousselot pour président provisoire et Denys-Paul Bouloc en tant que secrétaire. Les réunions pour mettre sur pied cette nouvelle institution sont très nombreuses car les nouveaux poètes veulent faire les choses correctement.
Le Bureau est ainsi formé : Président Guillevic, Vice-président Alain Bosquet, Secrétaire général Denys-Paul Bouloc, Secrétaire général adjoint Charles Le Quintrec et trésorier Charles Autrand.
Il est aussi décidé de faire place aux poètes étrangers de langue française et à des correspondants. Lawrence Durrell pour la Grande-Bretagne ; Robert Ganzo pour le Venezuela ; Artur Lundkvist pour la Suède ; Eugenio Montale pour l'Italie ; Octavio Paz pour le Mexique ; Vasko Popa pour la Yougoslavie ; Georges Somlyó pour la Hongrie ; Yánnis Ritsos pour la Grèce ; Claude Vigée pour Israël ; Andreï Voznessenski pour l'U.R.S.S ; Ismail Kadare pour l'Albanie ; Vicente Aleixandre pour l'Espagne.
Mais un cas problématique s’annonce. Les statuts sont rejetés par la préfecture à cause de la nationalité américaine d’Alain Bosquet. Des démarches sont faites et Alain Bosquet obtient la nationalité française. Voilà pour la première action de l’Académie Mallarmé nouvelle.
L’Académie procède alors à la publication de sélections trimestrielles dans les journaux.
Puis il y a aussi les Prix, dont le premier de la nouvelle série est accordé à une femme - Andrée Chedid.
À cette époque, l’Académie vit sur un grand train. En effet, les poètes bretons ont amené dans leur valise le parfumeur Yves Rocher qui leur offre les meilleurs restaurants et les fastes de grands hôtels quand elle se déplace en Bretagne.
Ce mécénat va leur permettre une aventure un peu folle. En effet, Léopold Sédar Senghor en qualité de Président de la République du Sénégal et membre de l’Académie Mallarmé accueille à Dakar l’Académie tout entière pour son Assemblée générale en juin 1980.
Mais une difficulté intervient : la maison de Mallarmé est à vendre et les héritiers en appellent à l’Académie Mallarmé en même temps qu’aux instances de l’État. Pour le coup, c’est Robert Mallet qui va se démener et réussir à faire acheter cette maison par le département de Seine-et-Marne qui donne à l’Académie un bail pour son entretien, avec l’aide d’Yves Rocher bien sûr. On retrouve la situation avec le Val-Changis d’Édouard Dujardin en 1937. L’Académie va-t-elle enfin réellement disposer d’un lieu ? Celui-là serait magnifique puisque le lieu même de Mallarmé. Mais la charge se révèle bien trop lourde, notamment pour la gestion du jardin, sans l’apport de la fondation Yves Rocher.
En effet, le mécène se plaint qu’on ne fait pas suffisamment de publicité et se retire sans pour autant que les académiciens puissent trouver de l’argent ailleurs.
Après 1988, Guillevic démissionne sous le prétexte que le prix est décerné à un ouvrage de poche ; mais il y a longtemps qu’il voulait partir.
Avec son équipe, il a réussi à faire se tenir cette nouvelle Académie qui n’a pas à rougir de la précédente, bien au contraire.
Bernard Fournier
in Histoire de l’Académie Mallarmé 1913 - 1993
Editions du Petit-Pavé, 2016
photos Louis Monier
Histoire de l’Académie Mallarmé
Les archives nous font défaut pour reconstruire avec exactitude l’histoire de l’Académie Mallarmé, sauf pour la seconde période depuis 1975 où, là, au contraire elles sont complètes et conservées au Musée Mallarmé à Valvins. En effet, les secrétaires qui se sont succédé n’ont pas versé dans aucun local les minutes de son activité. Cependant, j’ai pu découvrir les fonds de correspondance, celle d’Édouard Dujardin par exemple, à l’Université américaine Harry Ransom Institute. Celle aussi d’Henry Charpentier plus parcellaire.
J’ai pu aussi avoir accès aux archives de l’Université libre de Bruxelles qui gardent précieusement la correspondance d’Albert Mockel avec André Fontainas : les deux amis belges s’entretiennent de l’Académie Mallarmé aux séances de laquelle l’un peut assister, demeurant à Paris, et qui en tient informé son ami à Bruxelles.
J’ai pris contact avec les ayants droit qui m’ont fait le meilleur accueil et m’ont ouvert généreusement leurs archives.
J’ai enfin consulté les fonds de correspondance des bibliothèques : BNF, Doucet, Institut, Archives nationales, BHVP, IMEC.
Et aussi, bien sûr, les archives de la presse sur le site Gallica de la BNF.
Je voudrais aussi saluer Mickael Lugan qui sur son site Les Féeries intérieures, spécialisé dans tout de ce qui touche à Saint-Pol Roux, a diffusé les premières notes visant à une histoire de l’Académie Mallarmé.
Jean Orizet, ancien Président de cette Académie, en a dressé également une ébauche dans son ouvrage Les Forêts de l’impossible (Mélis, 2011).
Une première ébauche de ce travail a paru en deux livraisons dans la revue Décharge en décembre 2011 et février 2012.
Par où commencer ?
On découvre que l’Académie Mallarmé eut un grand succès lors de sa fondation en 1937, après les éclatantes fêtes du Symbolisme.
Cette fondation suit la création d’une Société datant de 1923, elle-même issue d’une association informelle réunissant les « Amis des Mardis » qui depuis la mort de Mallarmé s’attache à réunir pour des lectures et des hommages les anciens adeptes des réunions mallarméennes. On voit par là que l’origine de l’Académie Mallarmé se rattache directement à la personne du poète Mallarmé.
Faut-il alors considérer que cette Académie serait une survivance du symbolisme ? Dans un certain sens oui, si l’on considère que le symbolisme se veut une représentation générale de la poésie. Et en effet, dès 1937, ses membres veulent voir dans l’Académie qu’il constitue, moins la personne de Mallarmé lui-même que l’idée de la poésie en général qu’il s’en faisait. L’Académie devient alors la représentante de la poésie sans souci d’école ou de personne.
Mais sans doute faut-il remonter plus haut encore.
Tout a commencé avec Mallarmé lui-même qui rêvait d’une sorte de phalanstère pour les poètes. Il a dit, à son retour d'Angleterre, en mars 1894, comment il pouvait imaginer un groupement de poètes, à l'image de ce qu'il a vu à Cambridge : Gordon Millan reprend ses propos :
« Villes charmantes que ces villes collégiales, mêlées d'ombrages et de palais, vie de cloître, d'école et de sport, où vivent comme des paons pour être l'ornement d'un jardin, des hommes choisis et rentés en vue d'être simplement, au-dessus des clercs, une sorte d'académie d'amateurs qui habitent de vieilles demeures concédées parmi de beaux livres et de délicates pensées, sortes de hauts pensionnaires ». Puis il laisse la parole à Mallarmé lui-même : « Ces villes, il faudra que les démocraties en créent pour les poètes, et dans le dernier regard du départ, je les ai vues autant dans l'avenir que dans le passé ».
courte histoire de l'Académie Mallarmé
P A R I S F R A N C E
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L’Académie Mallarmé autour de Georges-Emmanuel Clancier,
à l’Hôtel de Massa, le 30 avril 2014